Le 25 mai 2020, plusieurs personnes à Minneapolis ont été témoins de l’arrestation et de la mort de George Floyd, un homme noir. Dans la vidéo qui a été publiée dans les médias, vous pouvez voir comment les quatre policiers, d’une manière ou d’une autre, participent à la violence qui a entraîné la mort de George. Vous pouvez entendre comment plusieurs fois George a dit qu’il ne pouvait pas respirer. On le voit s’arrêter, jusqu’à ce qu’il perde connaissance et soit déclaré mort avant d’arriver à l’hôpital.

Le même jour, une jeune fille de 17 ans sur une montagne isolée de la province de Bukidnon, aux Philippines, pleurait. Elle était lycéenne, il ne lui restait qu’un an pour terminer ses études. Elle avait l’intention de suivre le cours d’aidant professionnel afin de trouver un travail décent et d´aider sa famille dans l’extrême pauvreté. Mais ce jour-là, tous ses plans ont été tronqués. Les anciens de sa tribu et sa famille ont décidé que la jeune fille devait se marier dans quelques semaines. Si elle disait non, ce serait une grosse faute et la famille devrait payer la famille de son futur mari pour la honte à laquelle ils ont été exposés. La vie de la jeune fille s’éteint, limitée à l’avenir incertain de la vie dans la pauvreté et le travail à la campagne.

Pourquoi est-ce que j’ai ces deux histoires, à l’esprit alors qu’elles se sont passées à des milliers de kilomètres l’une de l’autre ? On dit que l’amour ne comprend pas les couleurs ou les frontières. La haine et l’injustice non plus. En 1963, Martin Luther King a prononcé son célèbre discours  “Je rêve…” Aujourd’hui, après plus de cinquante ans, nous avons pu répéter ses paroles: « Nos vies sont encore mutilées par les couteaux de la ségrégation et les chaînes de la discrimination ; … nous continuons à vivre sur l’île solitaire de la pauvreté au milieu du vaste océan de prospérité matérielle; … nous continuons à languir aux coins de la société en nous retrouvant exilés dans notre propre pays. Ce qui s’est passé il y a tant d’années se répète à nouveau en Amérique, aux Philippines et dans tant d’autres endroits sur terre. Pourquoi est-ce ainsi? Parce que nous avons permis à l’injustice de faire partie de la culture d’une façon ou d’une autre. De notre culture, dans laquelle nous grandissons, celle que nous respectons, dans laquelle nous éduquons nos fils et nos filles. Nous continuons à vivre dans un monde (et, malheureusement, une Église) où quelques-uns ont le pouvoir sur beaucoup d’autres, juste pour la raison de naître dans une situation plus privilégiée. Les sociétés modernes partent principalement des principes de la Révolution Français (liberté, égalité, fraternité), mais on donne l’impression que nous sommes encore loin de faire de ces idéaux notre réalité quotidienne (et plus de deux siècles vont déjà!). Et pas seulement quand il s’agit de racisme ou de traditions de tribus indigènes. Nous vivons dans le monde où les femmes n’ont pas le même droit que les hommes; lorsqu’une personne noire/jaune/homosexuelle est victime de discrimination sans avoir fait quoi que ce soit de mal; où un homme noir est brutalement tué en plein jour; où une fille de la tribu vit une vie qu’elle n’a pas choisie pour elle-même. N’hésitez pas à continuer la liste.

Et il arrive certainement un moment où vous vous demandez, « Qu’est-ce que je fais, moi? Y a-t-il une option, des alternatives? Eh bien, oui, il ya des alternatives, et beaucoup et variées.

  1. « Le monde et ses affaires sont indignes d’occuper un lieu et un endroit dans le temple de ton âme. Regardez-le du haut de ta méditation et regardez-le seulement pour ordonner selon Dieu tes relations et  tes rapports indispensables avec lui.  Sur cette question ne te dispute pas avec lui, ne te défendes pas; tais-toi, prie et médite, aie de la compassion de lui (…) Tais-toi, fuis les discussions et les démêlés avec le monde, parce que ce serait descendre du haut des rochers pour combattre à la force des bras contre les vagues de la mer » (Lettre 40,3-4). Cela veut  dire qu’il faut simplement  laisser le monde être, sans se soucier ou entrer dans sa boue? Certainement pas! Il faut être conscient que ce avec quoi il se bat n’est pas quelque chose (ou quelqu’un) qui peut être facilement surmonté, «par la force des armes». La violence et l’injustice sont tout un système, contre lequel beaucoup se sont déjà battus et ont péri, sans que rien ne change. Si dans la lutte on ne s’enracine fortement en Dieu, il est très facile de succomber aux forces de frustration et de découragement. Si l’on ne se bat pas s’appuyant sur Dieu, très tôt dans le cœur naîtra la haine, parce qu’il ne saura pas comment avoir de la compassion du monde (oui, de ces quatre policiers qui ont tué George, et de ces anciens de la tribu qui décident de la vie de cette jeune fille). Les questions d’une telle importance doivent d’abord être traitées avec Dieu, «se battre avec Dieu» pour leur accomplissement.
  2. « Avons-nous la foi? Eh bien, allons-y; Marchons, progressons. Les vertus de l’espérance et l’amour de Dieu et du prochain doivent être liés. Marchons toujours, toujours en avant, jusqu’à ce que nous devenions la ressemblance et l’image de Dieu ; toujours en avant (…) Avancez œuvre de Dieu ! Nous sommes catholiques! Eh bien, nous avons la foi; nous avons fait le premier pas; continuons et, pour conduire l’œuvre de Dieu dans l’individu et l’œuvre de Dieu dans le corps social à sa perfection ultime, combien la prédication doit fonctionner! Elle a commencé; elle doit continuer jusqu’à la fin» (EVV 1.3). Mettons la main à la pâte! Si nous voulons un monde meilleur, nous devons retrousser les manches et se salir avec. Si nous voulons une société plus parfaite, nous ne pouvons pas rester immobiles, mais travailler sur sa construction. J’ai été satisfait de la réaction des gens qui avaient vu l’arrestation de George, parce qu’elles avaient essayé d’intervenir. À l’heure actuelle, des milliers de personnes protestent et font entendre leur voix. C’est la prédication moderne qui doit continuer. Mais nous devons aussi prêcher avec nos œuvres, pas seulement par des mots. A commencer par les petites sociétés où nous vivons: nos familles, nos communautés, nos centres d’éducation et de soins, nos paroisses, etc. Qu’il s’agit d’espaces où règne la justice, et non la personne en autorité; où les rêves de chacun sont entendus, pas seulement des supérieurs ou des prêtres; où les enfants et les jeunes apprennent à vivre ensemble sans diviser les pauvres et les riches; où nous pouvons tous respirer et ne pas nous noyer dans un environnement plein de préjugés et d’inégalités.
  3. « … Offre-toi de prendre soin de lui [le Corps blessé du Christ] et de fournir ces services en ton pouvoir » (Lettre 42:2) Ne nous trompons pas, changer le système ou la culture n’est pas facile. On n’y arrive peut-être jamais. Mais ça ne peut pas être une excuse pour arrêter de faire ce qu’il y a entre nos mains. Grâce aux personnes engagées, la jeune femme de la tribu pourra poursuivre ses études, même si cela signifie enfreindre quelques règles du Centre qui l’accueillent (et les anciens de la tribu ne l’aimeront sûrement pas). J’espère que la mort de George n’est pas vaine, mais l’origine d’un véritable changement. Il y a un pouvoir de changement entre nos mains, beaucoup plus grand que nous ne l’imaginons. Mais le changement a un prix, parce que parfois vous devez sacrifier plus que ce à quoi nous nous attendons.

Dans la mythologie classique, il y a un mythe qui raconte l’histoire de Sisyphe. Après s’être rebellé contre Zeus, Sisyphe fut puni d’avoir à pousser une énorme pierre au sommet de la montagne. Chaque fois qu’il était déjà proche, la pierre tombait, et Sisyphe devait recommencer. Cette histoire représente bon nombre de nos efforts pour bâtir un monde plus juste et plus égal. Avec toutes nos forces, nous poussons, mais plusieurs fois nous trouvons un mur immuable. Nous l’avons frappée encore et encore, même si rien ne semble l’affecter. Cependant, nous continuons à pousser. Pas à cause de la punition, mais parce que, comme Martin Luther King, nous avons un rêve. Je rêve d’un monde où les jeunes femmes peuvent décider pour leur avenir, elles peuvent recevoir toute l’éducation qu’elles veulent, avoir des alternatives dans la vie. Quel est ton rêve?

 

Sr. Aleksandra Nawrocka, cmt